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Le sang d’Adnane

Par Mohamed Ouzzine:

Nos prédécesseurs avaient prédit que « viendra un temps où l’on craindra pour la sécurité du garçon beaucoup plus que pour celle de la femme esclave ». Ce temps a-t-il échu ? Ou est-ce la prophétie des prédécesseurs ? Ou est-ce la perversion des successeurs ? Adnane est décédé, laissant une blessure profonde dans le cœur de la mère, du père, du frère, de la sœur, des proches et dans toute conscience vivante qui hume la senteur de l’humanité. Les langues se sont tues et les forces se sont effondrées devant l’horreur de l’incident foudroyant, qui a mortellement affecté la famille du défunt garçon. La famille d’Adnane n’était pas la seule à être peinée, car le chagrin a affligé toutes les familles marocaines qui ont vu en Adnane leur enfant disparu. Adnane a quitté ce monde à 11 ans, et avec lui est parti son sourire innocent, forcé sans pitié par une sauvagerie barbare et maladive, qui est le fait d’un délinquant pervers et abominable.

« Ceci n’est pas facile pour le quartier tout entier », témoigne une femme de la fenêtre de sa maison dans le quartier Annasr dans la ville du Détroit, alors que le choc se dessine sur son visage et sa voix raconte comment l’acte ignoble et le crime odieux ont ébranlé la sérénité du quartier : les sentiments ont été secoués, les angoisses maternelles et paternelles ont frémi au sein des familles et la peur et la terreur ont régné dans les ruelles du quartier.

L’incident d’Adnane n’est rien d’autre que l’arbre qui cache la forêt et cache des manifestations d’une sauvagerie humaine cachées et dissimulées qui vivent parmi nous et avec nous, avec des masques et des yeux trompeurs. L’incident d’Adnane raconte les chapitres d’histoires et de récits horribles d’un phénomène qui encombre les couloirs des tribunaux et qui souvent ne parviennent pas aux médias que s’ils sont associés à des meurtres ou des enlèvements ou aux deux crimes à la fois et ce, sans parler des cas qui s’éloignent des regards et qui viennent s’ajouter aux cas passés sous silence.

Adnane est parti, mais il a laissé son sang qui nous interpelle, voire nous tient responsables en tant que société du phénomène de pédophilie qui a envahi brutalement nos sociétés. Les vies de milliers de mineurs ont été brisées à cause du harcèlement et de l’exploitation sexuels dans le voisinage du lieu de leur résidence, dans les internats, les centres de protection de l’enfance, les camps d’estivage, les associations, les centres de formation et dans les enceintes de nombreuses institutions et même au sein des familles et parmi les proches.

Nous n’avons pas besoin de rappeler les chiffres et les données des années passées pour se rendre compte de l’ampleur de ce phénomène. Contentons-nous seulement de dresser un inventaire des faits les plus importants qui ont marqué l’année en cours pour nous rendre compte de l’envergure qu’a prise le phénomène de la pédophilie dans notre société :

– 1er janvier 2020 : Un enseignant est accusé d’avoir violé une mineure âgée de moins de 12 ans, après que sa mère ait découvert des messages à caractère sexuel sur son téléphone portable.

– 30 janvier 2020 : Une personne, connue sous le nom du « Pédophile de Lissasfa » à Casablanca, sera condamnée à 20 ans de prison après avoir violé 20 mineurs. Il suffit de scruter ce chiffre pour en déduire la période de réclusion prononcée pour chaque cas de viol.

– 02 février 2020 : L’opinion publique s’est réveillée sur l’écho d’un grand scandale qui a éclaté après avoir fait bénéficier un “diplomate” koweïtien, accusé d’avoir agressé sexuellement une mineure âgée de 14 ans, d’une mise en liberté provisoire et avec une caution de 30.000 DH.

– 09 février 2020 : Un membre de la Fédération Royale Marocaine de Football rompt le silence et dénonce des actes sexuels en masse commis sur des mineurs dans les établissements de formation de football et révèle des chiffres choquants.

– 20 février 2020 : Le directeur d’une association de personnes à besoins spécifiques à Salé est accusé d’avoir agressé sexuellement une mineure, membre de l’association et a écope d’une peine de dix ans d’emprisonnement. Le même jour, un homme âgé de 50 ans agresse sexuellement sa nièce mineure âgée de 12 ans et l’on découvre plus tard qu’elle est enceinte. La peine de prison ferme prononcée contre lui sera de 15 ans.

– 23 février 2020 : Un retraité âgé de 67 ans à Larache est accusé du viol de deux mineurs.

– 10 mai 2020 : Une fille mineure dépose une plainte contre son père à Agadir.La charge :le viol de sa fille pendant un an.

– 12 juin 2020 :A Tata, et en particulier à Foum Lahcen, des manifestations de masse forcent la justice à renvoyer une personne en détention, après avoir été accusée d’avoir violé une fille âgée de 6 ans.

Même après que les Marocains aient été secoués par l’incident d’Adnane, la série d’agressions sexuelles s’est poursuivie comme s’il s’agissait d’un destin inéluctable qui ne connait ni pitié ni répit : la police retrouve une mineure suite à une plainte déposée par sa mère, après avoir été abusée par un suspect de Fès. Au cours du même jour, soit le 14 septembre, la police a déjoué la tentative d’un homme âgé de 36 ans d’appâter un mineur âgé de 11 ans, sans parler des centaines de plaintes déposées via les numéros verts mis en place à cet effet et qui racontent des histoires et des récits choquants et horribles.

Pour revenir aux chiffres, ce qui est impressionnant, ce ne sont pas seulement le nombre d’agressions sexuelles, mais le taux de récidive, ce qui place la législation marocaine, aujourd’hui et plus que jamais, devant un grand défi, voire lui fait endosser la pleine responsabilité devant la cruauté du crime. Il suffit de remonter à l’incident de 2016, lorsque qu’un pervers avait été condamné à 12 ans de prison pour avoir violé un enfant âgé de moins de 7 ans et ce, immédiatement après sa sortie de prison dans une affaire similaire, pour laquelle il a purgé une peine de prison ne dépassant pas 3 ans.

Ce qui fait que notre législation est classée parmi les législations les plus indulgentes à l’égard du phénomène de pédophilie en comparaison avec des pays européens, américains et arabes. Pire encore, la faiblesse de notre législation fait de notre pays une destination favorite pour de nombreux pervers. Le Français âgé de 71 ans, qui avait fait l’objet d’un mandat de recherche d’Interpol, avant que la Préfecture de police d’Agadir n’ait pu l’arrêter, apporterait la meilleure preuve de cette thèse et ce, en plus d’autres cas multiples, récurrents et certainement récidivés. Ce sont de longues listes dont regorgent les dossiers des cliniques psychiatriques et qui ne sont pas publiées à cause de leur atrocité et de leur cruauté et du secret entretenu parles victimes au sujet de leurs détails. C’est une souffrance en silence, une douleur cachée et un gémissement à peine perceptible.

Les enfants âgés de moins de 15 ans sont près de 10 millions d’enfants, soit près de 30% de la population marocaine. L’article 19 du Code de la famille stipule que la capacité matrimoniale s’acquiert à 18 ans révolus, alors que le législateur a accordé,en vertu des articles 20 et 21 du même code,la latitude au juge de la famille d’autoriser le mariage de mineurs dans certains cas et selon certaines conditions définies. Ce qui est étrange est que cette exception soit devenue la règle, selon une étude menée en 2014 par l’UNICEF en coopération avec des institutions officielles. « Nous sommes donc devant un phénomène de pédophilie autorisée», comme l’avait affirmé l’un des activistes des droits de l’Homme, en faisant référence à ce qu’on appelle le mariage précoce ou le mariage forcé. C’est ce que le même activiste des droits de l’Homme avait qualifié de « violation des droits de l’enfance ». C’est sans parler du mariage coutumier dans les villages et les douars, où le mariage a lieu en récitant la sourate Al-Fatiha, et où le mariage de filles mineures âgées de 11 à 14 ans est permis, souvent avec des hommes beaucoup plus âgés qu’elles. Selon le même rapport toujours, les résultats sont catastrophiques : divorce, prostitution, délinquance, misère, maladie et mort.

Le débat autour de l’incident d’Adnane a suscité un autre débat sur les peines et les droits : il y a ceux qui plaident pour le droit à la vie du criminel après que beaucoup de personnes aient revendiqué que la peine de mort lui soit infligée. D’autres ont évoqué, en revanche, les droits de la victime et son droit à la vie qui lui a été confisqué injustement et cruellement. Une troisième catégorie a évoqué les ayants droit, à savoir les parents et les proches. En fait, le jugement dans les affaires est fondé sur la loi en vigueur et non sur une opinion non-motivée. Le droit pénal marocain n’est pas sujet à controverse dans cet incident et a stipulé clairement la peine.En effet, l’article 474 a stipulé ce qui suit : « Dans les cas prévus aux articles 471 à 473, l’enlèvement est puni de mort s’il a été suivi de la mort du mineur ».Nous pouvons être d’accord et nos points de vue peuvent diverger uniquement par rapport à l’ampleur de la peine. Cependant, nous ne pouvons pas être en désaccord au sujet de l’application de la loi, telle qu’elle est en vigueur aujourd’hui. S’il est nécessaire d’engager un débat à ce sujet, ce débat devrait alors porter également sur le projet de loi modifiant le code pénal marocain, soumis au Parlement. Ce projet de loi ne prévoit pas, d’ailleurs, de dispositions importantes concernant les crimes de viol des mineurs,à l’exception de l’amendement de certains articles pour commuter la peine de détention en peine d’emprisonnement, en plus des amendes non prévues par la loi pénale en vigueur. Conclusion : il faudrait faire preuve de davantage de créativité et de fermeté pour prévoir des sanctions plus sévères et dissuasives pour les violeurs d’enfants, surtout si le crime s’accompagne d’enlèvement, de détournement ou de violence.

Le législateur marocain est face à un défi majeur, puisque la stipulation d’amendes ne devrait pas occulter le fait que le Maroc occupe le 34ème rang parmi 60 pays en matière d’agressions sexuelles. En plus des sanctions, la qualification du crime devrait être changée pour être plus dissuasive, comme par exemple « le terrorisme de l’enfance » au lieu de « viol ».

Le phénomène est préoccupant et nécessite de mener des études psychologiques et sociologiques pour saisir tous les aspects qui lui sont connexes en vue de comprendre ses causes et ses raisons afin de les traiter et d’en limiter les répercussions. Le phénomène est absent des agendas des jeunesses partisanes et des programmes des partis, dont l’intérêt semble plutôt porter sur les listes nationales et les seuils électoraux, avec des yeux rivés sur les sièges et les positions. En outre, ils focalisent, dans leurs débats qui aboutissent parfois au blocage, sur des aspects moins importants que l’enfance, qui constitue l’avenir et l’espoir, comme c’est le cas aujourd’hui dans le projet de loi modifiant le code pénal. Aujourd’hui, pour que les tragédies de l’enfance ne se répètent pas sous nos yeux et pour ne pas se rejeter les responsabilités par la suite, il est impératif d’adopter de véritables politiques publiques orientées vers l’enfance selon un mécanisme unique et unifié, loin de l’émiettement des institutions et du chevauchement des politiques qui aboutissent à la perte de la noblesse de la mission et avec elle la perte de l’enfance.

L’activiste politique et des droits de l’Homme américain, Martin Luther King, avait affirmé un jour : « Ce qui m’effraie, ce n’est pas l’oppression des méchants, c’est l’indifférence des bons ».Dans le même sens, le philosophe existentialiste français Albert Camus avait souligné : « Nous n’aspirons pas à un monde où personne n’est tuée, mais à un monde où le meurtre ne peut pas être justifié ». Adnane est un nom qui signifie celui qui réside et séjourne en permanence. Adnane est parti et a laissé son sang sur nos mains, nous laissant le choix d’être ou de ne pas être. Puisse Dieu agréer Adnane dans sa miséricorde et nos condoléances à l’honorable famille.

« Nous somme à Dieu et à Lui nous retournons ».

 

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