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“Le Gendarme” et la malédiction du 20

Mohamed Ouzzine:

Il m’a surpris par une question : « Papa, quelle est l’origine du mot “Daraki” en arabe ? En français, l’origine de “Gendarme » semble évidente  “gens d’armes” ». J’ai répondu :« qui te dit que l’expression française ne serait pas d’origine arabe ? ». Elle m’a scrutéavec étonnement et m’a rétorqué : « vous êtes sérieux ! ».Sa réponse m’a fait rire et je lui ai répondu :« tout comme tu as pu déduire l’origine française, tu pourras faire le même exercice et percevoir peut-être l’origine arabe du mot « Gendarme ». Elle a pris un certain temps, puis leva sa tête confuse en disant « Je n’ai pas trouvé ». J’ai alors avancé « “Jound Addar” (Soldats de la maison), cette expression en arabe n’est-elle pas plus proche de “Gendarme” ? Elle a souri et me répondit :« comme Shakespeare, dont l’origine serait “Cheikh Zoubir” comme le prétendent certains ». En arabe, le mot “Addarak” signifie “la traque”, peut-être pour pourchasser et traquer les hors-la-loi.

Je l’ai alors inter pelée :« quel est le contexte de ta question ? » Elle me répondit :« j’ai entendu la présentatrice du journal parler du “gendarme du monde” dans un reportage sur les événements en Amérique ». J’ai eu alors une idée. Je me suis adressé à elle : « que penses-tu d’un exercice simple que je vais te dicter.Tu dois juste renseigner les passages vides en y plaçant le nom du lieu ou de celui à qui est destiné le message. Je vais t’accorder un peu de temps. Tu pourras même solliciter le soutien de tes amis. C’est un exercice facile et ne nécessite pas beaucoup d’efforts ». Elle a hésité, mais a finalement cédé à l’idée.

« Je veux vous dire quelque chose sur le cours des choses en … Nous continuons à surveiller de près la situation et sommes préoccupés quant au recours de la police et des forces de sécurité … à l’usage de la violence contre les manifestants.Nous appelons le gouvernement … à déployer tous ses efforts pour arrêter l’intervention des forces de sécurité. Ces protestations témoignent des injustices dont se plaint la société…  Le gouvernement … doit comprendre que le recours à la violence ne lui permettra pas se débarrasser de ces injustices ».

L’exercice était facile et abordable, compte tenu du contexte et des protestations que connait l’Amérique sous le slogan « Je ne peux pas respirer » (I can’tbreathe), après la mort de Georges Floyd, le vigile afro-américain sous le genou de l’agent de police blanc Derek Chauvin. Ce qui est ironique dans cet incident, c’est la coïncidence des sens des noms. L’agent de police prévenu porte le prénom terrible :”Derek”, qui signifie « celui qui règne sur les gens ». Au XVIIe siècle, ce nom était celui d’une potence dans le village de Tyburn, près de Londres, qui était célèbre par l’exécutiondes criminels. Le nom du policier “Chauvin”renvoie à l’intolérance s’agissant de l’appartenance et au comportement avec arrogance à l’égard de tout groupe différent,voire sa persécution et son humiliation. En revanche,”Floyd”désigne un homme aux cheveux grisonnants, peut-être une métaphore de la maturité et de la sagesse. “Georges”signifie, pour sa part, “le cultivateur” ou “l’agriculteur”. Ce nom a été associé au martyr Saint Georges au IIIe siècle. L’empereur Dioclétien lui avait fait subir toutes sortes de supplices pour le contraindre à renier sa religion, mais en vain.Pire, nombreux qui avaient assisté à sa torture avaient épousé alors le christianisme.

Étrange symétrie entre les noms dans un incident plus étranger, comme s’il s’agit d’un scénario finement ourdi d’une scène où les noms des vedettes ont été soigneusement choisis. Est-ce un pur hasard ou est-ce les raisons du destin ?

Revenons à l’exercice. Bien évidemment et comme cela était prévu, les passages vides ont été successivement remplis par “Amérique”, “américaines”, “américain”, “américaine” et “américain”. C’est comme si l’orateur s’adressait à l’administration américaine suite aux manifestations dont le pays de l’oncle Sam a été le théâtre. Certes, beaucoup d’entre vous seront en faveur de cette thèse en raison, bien évidemment,de l’actualité du sujet.

En fait, il est question d’un message de la Secrétaire d’État américaine, Mme Hillary Clinton, en janvier 2011, adressé au gouvernement égyptien durant la révolution, qui a fait de la place Attahrirson symbole.

Le destin a voulu que ces mêmes directives s’adressent aujourd’hui à ceux qui les ont édictées hier. Le destin a même voulu pour que les représentants du peuple, réunis au Congrès américain,soient à l’écoute des orientations et conseils d’un citoyen ordinaire qui n’est autre que le frère de feu Georges Floyd, qui s’est adressé à eux : « Mettez un terme aux douleurs ! Mettez fin aux souffrances des Noirs américains ! Prenez des mesures pour faire face à la violence de la police américaine ! Soyez les leaders dont ce pays et ce monde ont besoin ». Des mots loquaces et des images impressionnantes, accueillis par un silence terrible dans une scène douloureuse, des yeux qui pleurent, des regardshagards et des esprits confus.

Quelle est cette malédiction qui a frappé le gendarme du monde ? Est-ce la malédiction du 20 ?En 2020, et du fait de la pandémie, l’Amérique a enregistré les taux les plus élevés de contamination et de décès. A 20h00, la police a été informée d’un billet de banque de 20 $”falsifié” ! Ce billet fut la cause de la mort du défunt afro-américain et du déclenchement de l’étincelle des protestations en Amérique et dans le monde. A 20h20, Floyd clamait à la police qu’il ne pouvait plus respirer. A 20h27,une ambulance est arrivée. A 21h27, sa mort a été annoncé. Et tout cela le 25 mai 2020.

“Il n’est pas normal que cela se produise en Amérique. Ce fut un tweet de l’ex-président américain Barack Obama. Sa déclaration-ciest porteuse de messages et desens. C’est l’Amérique, le gendarme du monde et, en principe,le symbole de la démocratie et de la suprématie de l’Etat de droit. Même l’aménagementde sa capitale ne manque aucune occasion pour promouvoir cessens : Constitution Street, Independance Street, le mémorial du libérateurdes esclavesAbraham Lincoln, le mémorial de Georges Washington l’unificateur et le libérateur des Américains et d’autres monuments commémoratifs qui symbolisent les libertés etla démocratie.

Ce que vit l’Amérique aujourd’hui estsans précédent :des manifestations pacifiques et d’autres qui sontviolentes. Est-ce un printemps américain similaire au printemps arabe ? Il y a une grande symétrie entre les deux printemps, provoqués par l’injustice et l’oppression. La victime à l’origine du premier printempsa mis le feu à son corps, alors que la victime qui a déclenché le second printemps a succombé sousle genou de son bourreau. Mais le scénario est le même, les raisons sont les mêmes et le résultat est le même. Colère, chaos, agitation, protestations et griefs.

Le timing pourrait être un indicateur de distinction déterminant, car il n’est pas arbitraire. Le volume des dégâts qu’ont subis les communautés afro-américaines à cause de la pandémie,en termesd’impacts sociaux et de nombre de décès, s’est révélé aujourd’hui comme un fait qui a longtemps été dissimulé par les manifestations et les modes de consommation exagérées et prétentieuses de la société américaine. Le plafond des revendications et des griefs a atteint le niveau d’appeler à l’instauration d’un nouveau pacte social,qui va au-delà de la condamnation du racisme et interpelle désormais la coexistence en Amérique, ses frontières, ses moyens, ses conditions et ses possibilités.

Les slogans de la campagne électorale de Barack Obama étaient “L’Amérique post-racisme”, “L’Amérique sans couleurs”. Ce qui se passe aujourd’hui viendrait-il dilapider toute cette accumulation ?tout l’élan et toute la charge émotionnelle de l’époque ? Certes, ce qui se passe aujourd’hui en Amérique aura ses conséquences et ses considérants. Certes, les prémices du printemps américain créeront une nouvelle gauche plus progressiste en matière d’équité raciale et sociale, après que beaucoup sont devenus fermement convaincus que les répercussions de la pandémie ont mis à nu« le mythe du modèle américain idéal ».

La déclaration de l’écrivain et romancier égyptien Youssef Idrissse confirme-t-elle : « Je suis dégoûté par une civilisation qui monte à la lune au gré de lagrandeurde sa science, alors que ses individus poursuivent leur dégringoladevers les fins fonds de l’esclavagisme ». C’est peut-être la crise de l’humanité aujourd’hui, qui, comme à chaque fois, avance davantages’agissant de se doter des moyens de sa capacité qu’elle ne faiten matière d’acquisitiondes moyens de sa sagesse. L’adage arabe avait d’ailleurs affirmé :« Soyez certain que le tempss’il favorise ton ascension un jour, il t’avilira un autrejour. L’oiseau, même s’il élit domicileau ciel, tu le verras tomber un jour ».

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