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M. Mohamed Ouzzine dans une lettre ouverte à l’historien Abdelkhaleq Kellab : Nous faisons l’histoire, nous ne l’écrivons pas seulement

Suite à l’allocution prononcée par M. Mohamed Ouzzine, Secrétaire général du Mouvement Populaire, à l’occasion de l’ouverture du 9ème Congrès national du Parti de la Justice et du Développement (PJD), le chercheur Abdelkhaleq Kellab a critiqué M. Ouzzine pour avoir loué l’évocation par les organisateurs, devant des invités arabes, la relation civilisationnelle avec l’Orient arabe et le beau sentiment d’appartenance à l’arabisme et à l’Islam, sans pour autant négliger l’appartenance à l’identité, à l’espace et à l’Homme à l’intérieur du pays, en allusion à l’omission par les organisateurs de la langue amazighe.

D’où cet appel à une séance de dialogue ouvert dans le cadre de l’Académie Lahcen Lyoussi, bras intellectuel du parti du Mouvement Populaire, pour mettre les points sur les « i », avec un cœur ouvert et sincère, priant pour un Maroc uni contre lequel les flèches de la division seront vaines.

Ci-après le texte de la lettre ouverte :

Dans vos commentaires de l’allocution que j’ai prononcée à l’occasion de l’ouverture du 9ème Congrès national du Parti de la Justice et du Développement (PJD), vous avez, cher frère, adopté un discours exclusif qui a réduit l’identité marocaine à un seul élément, niant ses autres composantes et affluents ancestraux.

Dans ce cadre, je voudrais, tout d’abord, souligner que le Maroc, tout au long de sa longue histoire, n’a jamais connu ni l’exclusion ni l’intolérance raciale. Il a plutôt toujours été une terre de rencontre des civilisations et des cultures, où les Romains, les Phéniciens et les Vandales ont coexisté parmi les Amazighs, suivis des Arabes et de tous les immigrants sous l’égide de l’Islam et les valeurs de tolérance et d’unité nationale.

Les Marocains, toutes composantes confondues, ont fait face à des projets de division que les occupations successives avaient initiés. Le dahir berbère de 1930 en est le témoignage le plus éloquent. Ce dahir, qui a été l’objet d’interprétations malveillantes qui ont dénaturé une législation avec un ancrage territorial, a renforcé la position du système coutumier amazigh authentique dans la législation nationale, l’a transformé en un mouvement idéologique au service de ses intérêts et en a fait un épouvantail qui a reporté pendant des décennies les droits de la composante amazighe au cœur de l’identité nationale unifiée dans sa diversité.

Vous vous rappelez, comme l’histoire le rappelle, que l’identité marocaine, avec sa profondeur amazighe, assimile et ne s’assimile pas.

Votre discours, frère Abdelkhaleq, porte malheureusement les traits d’une lecture unilatérale de l’histoire avec une logique raciale étriquée qui est en contradiction avec la vérité anthropologique, historique, civilisationnelle et culturelle du Maroc antique. Bien plus, votre déclaration au sujet de mon intervention lors d’une rencontre partisane n’a pas pris en considération le contexte de cette occasion et l’a réduit à une séquence incomplète, voire vous vous êtes arrêté à « Malheur aux adorateurs ! ». Il convient de noter que votre approche unilatérale n’est même pas conforme à la philosophie de la Constitution marocaine de 2011, qui représente l’expression suprême de la volonté collective de la nation, et qui stipule clairement que l’identité marocaine a de multiples affluents, amazigh, arabe, hassani, hébreu, andalou et d’autres, au sein d’une unité nationale indivisible.

De ce fait, frère Abdelkhaleq, en tant que chercheur dans le domaine de l’histoire et du militantisme amazigh, nierez-vous le lien civilisationnel entre le Maroc et l’Orient arabe, sachant que vous maîtrisez la langue arabe et que vous êtes un chercheur des racines de l’histoire en cette langue ?

J’aurais aimé, frère Abdelkhaleq, que vos critiques à mon égard soient formulées dans l’éloquente langue amazighe, que je ne vous ai jamais entendu utiliser pour énoncer vos lectures distinguées et respectables de l’histoire. Je voudrais également souligner que la lutte pour rendre justice à la langue amazighe a toujours condamné l’unilatéralisme et l’exclusion. Il n’est pas raisonnable pour nous d’exercer ce à quoi nous nous opposons et continuerons de nous opposer !

A toutes fins utiles, je vous informe, cher frère, que le parti auquel j’appartiens a édifié son projet politique sur quatre thèses claires :

Premièrement : une thèse religieuse qui croit en l’Islam comme religion d’État et appelle au respect de la coexistence entre les religions sous l’égide d’Imarate Al Mouminine (Commanderie des Croyants), protectrice des confessions et des religions ;

Deuxièmement : une thèse culturelle qui considère l’amazigh, l’arabe et d’autres affluents et expressions linguistiques et culturelles comme des composantes complémentaires de l’identité marocaine, édifiée sur le principe de l’unité dans la diversité, et distingue clairement entre diversité et multiplicité.

Troisièmement : une thèse relative aux droits de l’Homme qui prône l’équité sociale et territoriale afin de rendre justice aux classes démunies et vulnérables et développer les montagnes, les plaines, les villages et les villes, sans discrimination raciale ou linguistique. Il n’exige pas de dévoiler son groupe sanguin pour obtenir une carte d’adhérent à un Mouvement Populaire que des Marocains ont construit pour tous les Marocains et qui est issu d’une terre maure, comme vous aimez la décrire, pour la crème des Maures qui sont les Marocains. C’est un mouvement qui n’est ni orientaliste ni occidentaliste, rejette la surenchère, fier de sa gloire et de son histoire honorable et croit à la profondeur amazighe authentique qui remonte à plus de trente-trois siècles, sans s’opposer à la diversité et aux interfécondations culturelles successives.

L’amazighité du Mouvement Populaire, cher frère, c’est l’amazighité d’une lutte qui s’étend depuis des décennies dans les montagnes, dans les villes et dans tous les foras, pour la défense d’un Maroc qui accueille tout le monde.

‏‎ أمازيغية الحركة الشعبية، أخي، هي روح ملاحم بوكافر ولهري وبادو وأنوال وغيرها من أجل المغرب ولأجله.

L’amazighité du Mouvement Populaire, cher frère, c’est l’esprit des épopées de Bouguafer, Lahri, Badou, Anoual et d’autres, pour le Maroc et au service du Maroc.

 

Notre mouvement politique, cher frère, donne des leçons, mais n’en reçoit pas en matière de patriotisme, de droits de l’Homme et de défense de la patrie.
– Quatrièmement : une thèse politique qui adhère à l’option démocratique, au pluralisme et aux droits de l’Homme avec ses générations classiques et nouvelles. Je tiens à vous rappeler ici, cher frère, vous qui êtes chercheur en histoire, ceux qui étaient à l’origine du dahir des libertés publiques, ceux qui ont ouvert la voie à l’amazigh, en tant que langue, culture et identité, dans la vie publique et durant toutes les échéances de la lutte amazighe nationale sincère et ceux qui portent une alternative sociétale qui lie l’avenir du Maroc et des Marocains à leur histoire authentique.

Ne sont-ils pas le Mouvement Populaire, avec ses pères fondateurs et ses fils et filles fidèles à la patrie et à ses constantes depuis toujours et à jamais !!! Qui devrait alors rendre compte à qui ?

 

De ce point de vue, nous rejetons tout discours qui vise à diviser les Marocains, à se contester les droits de chacun ou à s’exclure mutuellement de l’espace unifié et commun de la citoyenneté, car nous croyons fermement que le Maroc n’a jamais été une terre de conflit ethnique, mais plutôt une terre de cohésion, de coexistence et de tolérance, où la fusion collective règne sous une seule bannière, la bannière de la patrie. Nous croyons également fermement à l’unité du but avant l’unité des rangz, à la bénédiction de la différence sous le toit de l’unité, et au consensus autour de l’esprit d’appartenance à une grande nation de l’envergure du Maroc, dont nous sommes fiers d’être issus de sa terre et de son sol.

 

En tant que militants harakis, nous l’avons toujours clairement affirmé : la diversité est une force, pas une menace.

Le fanatisme est un fléau qui n’a pas sa place au Maroc aujourd’hui et dans le futur.

L’extrémisme, qu’il soit au nom de la religion, de la race ou des libertés individuelles, n’a aucune origine dans le Maroc d’aujourd’hui, de demain ou d’hier.

C’est ainsi que nous étions et c’est ainsi que nous resterons, des militants harakis fidèles à l’histoire, à l’horizon et à un Maroc uni dans sa diversité et fier de ses constantes et de ses sacralités.

 

Je m’excuse, cher frère, de la dureté de certains paragraphes dans cette lettre, que nous n’aurions pas dû vous adresser, vous qui nous avez honorés de participer à notre colloque à l’occasion de la célébration du Nouvel An amazigh, si ce n’eut été la dureté de votre jugement sur un petit extrait tiré d’une allocution complète et aux paragraphes interdépendants lors d’un événement partisan auquel j’étais invité, sans que ne preniez en considération ni le contexte ni le fil conducteur de mon allocution.

 

Je m’excuse encore une fois pour cette réplique qui est censée éclairer l’opinion publique et lever toute ambiguïté induite par votre mauvaise lecture, cher frère, de mes propos, puisque votre sens critique vous a fait défaut cette fois-ci pour saisir les messages et les buts de mon allocution, qui n’appelait pas votre sortie injustifiée et incompréhensible.

 

C’est pourquoi, alliant les paroles aux actes, et pour parachever notre dialogue et approfondir le débat, je vous invite formellement une fois de plus, publiquement, à nous honorer de votre présence dans un colloque que nous préparons autour de la question de l’identité marocaine avec ses dimensions religieuses, historiques, linguistiques et culturelles, au sein de l’Académie Lahcen Lyoussi, bras intellectuel du Mouvement Populaire, afin que nous puissions institutionnaliser ce débat et lier le présent et l’avenir à l’histoire d’une nation et d’un peuple de la stature du Maroc, auxquels nous sommes tous fiers d’appartenir.

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