La peine de mort (2)
Écrit par Mohamed Ouzzine:
« Un garçon nommé Will du nord du Texas, qui n’a jamais connu son père. Son père avait quitté le foyer familial alors qu’il était encore un fœtus dans le ventre de sa mère … Il a été élevé par une mère célibataire souffrant de maladies mentales …
Le garçon a été victime d’une tentative de meurtre avec un couteau commise par sa mère alors qu’il n’avait pas plus de 5 ans.Suite à cela,sa mère a été arrêtée et placée dans un établissement de santé mentale. Le garçon avait vécu avec son frère aîné pendant quelques années avant que ce dernier ne se suicide par une balle dans la tête de manière froide.
Le garçon avait continué à se déplacer d’une famille à une autre jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de 9 ans. Par la suite, il a rejoint une bande criminelle et a été impliquédans des crimes odieux passibles de la peine de mort ».
C’est un témoignage de l’écrivain, chercheur et avocat américain David R. Dow, un expert qui s’intéresse à la peine de mort, qui a passé vingt ans comme avocat de défense contre la peine de mort.Il a publié une série d’ouvragesen relation avec cette cause qui sont dignes d’être lus, dont les plus importantssont « Executed on a technicality » (Exécuté sur une base technique), le « The Autobiography of an execution »(L’autobiographie d’une exécution), « ThingsI’velearnedfromdying » (Les choses que j’ai apprises en mourant) et « Confessions of an innocent Man »(Les confessions d’un homme innocent).
David R. Dow affirme : « Au Texas, au cours d’une année ordinaire, deux personnes sont exécutées chaque mois, et parfois 40 personnes sont exécutées par an. Il est étrange que ces chiffres n’aient pas connu de baisse significative au cours des 15 dernières années, sachant qu’à l’heure où le même nombre de personnes sont exécutées chaque année, le nombre de condamnés à mort a considérablement diminué.Cela nous met devant un phénomène contradictoire qui ne peut être lié à une baisse du taux de criminalité. Nous n’avons qu’une seule conclusion à tirer : les juges prononcent désormais des peines d’emprisonnement à perpétuité au lieu de la peine de mort ».
A cet égard, l’expert s’interroge sur les taux d’application de la loi dans des cas similaires et ne leur trouve aucune explication, sauf le fait que les juges prennent le parti de la vie, en prenant pour témoin la diminution du taux des peines de mortprononcées à 60% des affaires portées devant la justice par rapport aux décennies précédentes lors desquelles les taux des peines de mort prononcées étaient élevés.
Selon les recherches de cet avocat américain, 80% des condamnés à mort sont des personnes qui ont été élevées dans un environnement déstabilisé. Ils sont des victimes de la société.Cela ne pourrait pas nullement justifier leurs crimes odieux, mais c’est une tentative de comprendre les motivations de ce comportement. Ce qui nous amène à un autre débat : la condamnation à mort est la fin d’une histoire, mais nous sommes-nous interrogésqu’est-ce qui s’est passé avant que l’histoire ne commence ? En d’autres termes, comment intervenir dans la vie d’un meurtrier avant qu’il ne devienne un meurtrier ?Et quelles sont les alternativesoffertes pour éviter ce que les partisans et les opposants de la peine de mort considèrent comme un acte odieux, c’est-à-dire le meurtre d’une personne innocente ?
L’expert revient sur l’histoire de son client, Will, s’interrogeant combien d’alternativesavions-nousratées avant que Will ne devienne un meurtrier ? Lorsqu’il était un fœtus dans le ventre de sa mère, au début de son enfance, alors qu’il était à l’école primaire, après avoir été victime d’une tentative de meurtre commise par sa mère, après que sa mère ait été placée dans un hôpital psychiatrique, lorsque son frère aîné s’est suicidé et après avoir intégré le système judiciaire pour mineurs. Ce sont autantd’étapes critiques et sensibles où la société devait intervenir pour les contenir, mais nous n’avons rien fait. Nous avons laissé l’enfant tourmenté par les vagues de la délinquance, de la privation et de la violence. Notre négligence a fait de lui une bête féroce qui ne connaissait pas la pitié, car en revanche il avait appris et était éduquéà la cruauté. De cefait, il n’est que le produit de nos erreurs et de notre incapacité à entourer de notre sollicitude la petite enfance à nos enfants en situation difficile.
La société dans laquelle Will a grandi assume donc l’entière responsabilité, car elle n’a pas fait bouger le petit doigt avant que n’advienne ce qui s’est passé et que tout le monde a qualifié plus tard d’acte odieux, ajoutant que Will n’était pas une exception à la règle, mais plutôt la règle en soi.
Toutes ces choses ont un lien commun. A ce titre, David R. Dow évoquel’image des transactions commerciales dans le but de rapprocher de l’image. Quand ils vous disent : « Eh bien, vous pouvez payer le montant maintenant ou plus tard ».
C’est exactement ce qui se passe dans le système de la peine de mort, car nous insistons pour que nous en payions le prix plus tard, et bien sûr, à un coût plus élevé. En effet, pour chaque 15.000 dollars que nous dépensons en intervenant dans la vie des enfants socialement défavorisés, nous économisons 80.000 dollars de coûts liés à la criminalité. Ici, l’importance et la pertinence d’une intervention précoce pour éviter les coûts sociaux et économiques élevés deviennent évidentes.
Après l’affaire d’Adnane, le sujet de la peine de mort a monopolisé une grande part du débat public. Il est à noter qu’autantle débat a focalisé sur la peine de mort, autant le débat sur le sort de l’enfance et de la famille a été négligé, ou du moins l’équilibre a fait défautau traitement des différents aspects de cet incident. Que cela nous plaise ou non, nous récoltons aujourd’hui les fruits des dysfonctionnementsde ce système essentiel, qui est le pilier de la société.
Nous sommesen droit de nous interroger : qu’est-ce que nos lois sur la famille et l’enfance ont apporté ? Réponse : Plusieurs institutions qui s’occupent de l’enfance, mais qui sont dispersées et fonctionnent selon une logique où chacun joue sa partition. Nous avons offert à l’enfance pour la une sollicitude de façadeuniquement. En l’absence de contenu et d’efficacité, l’enfance s’est éclipsée aussi.
D’innombrables institutions : les Centres de protection de l’enfance relevant du ministère de la Jeunesse et des Sports, le ministère de la Solidarité, du Développement social, de l’Egalité et de la Famille, le ministère de la Justice et des Libertés, le ministère de l’Education nationale, le ministère de la Santé, le ministère du Travail et de l’Insertion professionnelle, le ministère de l’Intérieur. Sans oublier d’autres institutions telles que l’Entraide nationale, le Conseil national des droits de l’Homme, l’Institution du Médiateur, les instances judiciaires compétentesen ce qui concerne les questions des mineurs, l’Observatoire national des droits de l’enfant, la Ligue marocaine de protection de l’enfance, le Parlement de l’enfant, le Conseil collectif des enfants.La liste est longue et inutile compte tenu des conditions de l’enfance dans notre pays. Ce n’est pas pour dévaloriserl’action de ces institutions, mais plutôt une évaluation d’une réalité têtue qui interpelle la pertinence et l’impact de ces institutions.
Nous avions précédemment proposé et même plaidéen vue de mettre en place un cadre spécifique, unique et unifié, qui s’occupe de l’enfance, mais cette proposition est restée prisonnièredes tiroirs depuis plus de cinq ans, avantd’être enterrée plus tard. Nous avons précédemment prévenu que la situation de l’enfance dans les centres de protection de l’enfance n’est pas satisfaisante et que personne ne peut se sentir fier des conditions de nos enfants dans ces centres. Personne n’a levé le petit doigt. Mais le Parlement s’est montré relativement virulent lorsque le rapport d’une organisation étrangère a été publié, alertant sur les conditions dangereuses à l’intérieur de ces centres. C’est la logique du chanteur de quartier qui ne ravit pas, même au détriment de l’enfance, qui constitue l’avenir et l’espoir.
Un ancien adageénonce : « Nous ne devons pas faire confiance à une personne dont nous n’avons pas perçu l’enfance dans ses yeux ». L’enfance s’était éclipsée pour nos yeux ? L’enfance est une phase intermédiaire entre les anges et les humains, comme l’avaient décrit d’aucuns.
Mais la question ne réside pas dans la distance entre l’ange et l’homme, mais entre l’homme et l’inconnu. (A suivre)